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Pour faire face au COVID-19 de nombreux pays ont mis en place des applications technologiques pour aider les autorités à contenir le coronavirus sans forcer l’ensemble de la population au confinement. C’est le cas en République tchèque où le système a été nommé Chytrá karanténa, la quarantaine inteligente.

Karanténa est le nom utilisé par les tchèques pour parler du confinement mais aussi pour la quarantaine quand une personne est mise à l’isolement pendant deux semaines. Chytrá veut dire intelligent mais c’est aussi la traduction de l’anglais smart qui sert à qualifier beaucoup d’objets numériques du quotidien comme les ordiphones (chytré telephony) ou les montres connectées (chytré hodinky). Chytrá karanténa est donc un terme plus large et mieux approprié que sa traduction en français mais cela restera le titre de cet article.

Autre différence de taille avec la France, la quarantaine intelligente tchèque n’est pas une application mais un dispositif faisant appel à plusieurs outils technologiques. La solution française, présentée sous forme d’une seule application, StopCovid, monopolisant les débats sans qu’aucun parlementaire ni journaliste ne se préoccupe du dispositif sanitaire qui l’accompagne, ne montre pas les responsables sous un jour très sérieux.

La fin du confinement est souhaitable pour tous mais la prévention de la propagation du COVID-19 ne doit pas s’arrêter pour autant. Elle passe par la mise en quarantaine du plus grand nombre possible de porteurs potentiels du coronavirus. L’identification rapide des derniers contacts des malades identifiés est un moyen d’y parvenir. 

La méthode « quarantaine intelligente »

La quarantaine intelligente tchèque, telle que présentée sur le site du ministère de la santé tchèque n’a pas d’autre but. Le système offre une aide aux enquêteurs sanitaires (hygieník) dans leur quête d’identification des potentiels porteurs du coronavirus. Les enquêteurs sanitaires tchèques sont organisés par brigades régionales. Leur méthode est expliquée point par point sur le site du Ministère de la santé.

  • Une personne qui est testée positive est appelée chez elle par un enquėteur sanitaire afin d’identifier ensemble le plus grand nombre de ses contacts à risque sur les 5 derniers jours.
  • L’enquêteur demandera à la personne s’il peut utiliser une carte de ressouvenance (vzpomínková mapa) de ses déplacements, réalisée à partir de des données fournies par son opérateur mobile (pour la localisation par triangulation) et sa banque (pour les paiement par carte en magasin). L’enquêteur n’a pas accès direct aux données mais à la carte finale grâce à un logiciel développé par COVID19CZ, un collectif informel d’experts et de professionnels en technologie et de chercheurs tchèques.
  • Si la personne refuse, l’entretien se poursuivra sans la carte pour essayer d’identifier le plus de contacts possible par simples questions.
  • Quand tous les contacts potentiellement à risque sont identifiés, ils sont contactés via un centre d’appel spécial et mis en quarantaine dès que possible.
  • Dans les 4 à 5 jours suivants, une équipe de deux personnes rend visite aux gens en quarantaine pour prendre des prélèvements. Les prélèvement sont envoyés dans un laboratoire ayant la capacité de rendre ses résultats rapidement. Le délai idéal annoncé par le ministère est de 48 heures.
  • Si le test est positif, les personnes sont, elles aussi contactées par un enquêteur sanitaire qui suivra la même procédure.
  • En République tchèque la quarantaine est contrainte. S’y soustraire expose à une amende pouvant s’élever jusqu’à la somme délirante de 3 millions de couronnes (110.000 euros). Mais le ministère appelle avant tout à la responsabilité personnelle.
Source: MZCR

Cette procédure de base est celle explicitée sur le site du ministère de la santé tchèque. Mais les utilisateurs d’ordiphone peuvent aussi décider d’installer des applications pour archiver leurs déplacements et, ou tracer leurs contacts par bluetooth. Ces solutions sont aussi mise en avant dans le cadre de la quarantaine intelligente tchèque pour faciliter le travail des enquêteurs sanitaires.

eRouška, l’app contre le Covid 

La première solution est une option disponible sur l’application GPS tchèque Mapy.cz. Il est proposé aux utilisateurs d’archiver les données GPS de leurs déplacements et de le partager avec les enquêteurs si besoin. Mapy.cz est développé par Seznam, principal acteur de l’internet tchèque, participant aussi au groupe COVID19CZ. Cette solution gourmande en batterie est mentionné mais pas mise en avant par le ministère de la santé.

La seconde solution, bien plus promue, est un traceur de contacts par bluetooth. Si le ministère de la santé le promeut c’est bien sûr que cette application n’est réellement efficace que si une grande partie de la population l’installe et l’active. L’équivalent tchèque de StopCovid s’appelle eRouška qu’on pourrait traduire par eMasque mais il n’y a pas que le nom qui est différent.

Illustration du site erouska.cz

La première différence est qu’il est prêt et déjà disponible sur Google Play. Développé par le même groupe COVID19CZ, il a été présenté le 11 avril et testé par le rédac chef de Lupa.cz, le site d’information tchèque pour les geeks.

L’autre grande différence est que eRouška ne prétend pas ne pas traiter de données personnelles. Les utilisateurs fournissent leur numéro de téléphone comme identifiant et ce dernier peut être partagé avec un enquêteur sanitaire dans le cas malencontreux où le téléphone a croisé celui d’une personne testée positive au COVID-19.

Les données de contact enregistrés sont la date et l’heure du contact, son identifiant ainsi que la puissance du signal.

Ces données sont enregistrés sur le téléphone du porteur et ce dernier peut même l’éditer ou supprimer des entrées. Les suspicieux diront que c’est pour supprimer les contacts illégitimes mais ce peut être utile aussi pour supprimer les faux positifs si on oublie son téléphone dans un sac au vestiaire par exemple. Ces données ne sont partagées que si l’utilisateur le décide. L’app ne dit pas si les enquêteurs retiendront tous les identifiants des contacts mais le site du ministère de la santé indique que plus de 15 minutes à moins de 2 mètres est un cas typique de risque de contagion. Avec pour seule donnée la puissance du signal bluetooth l’incertitude reste grande. Une fois les identifiant retenus, seuls les enquêteurs assermentés peuvent avoir accès au numéro de téléphone pour joindre le contact. Selon les conditions de respect de la vie privée du site eRuška, les données envoyées ne sont conservées que le temps de leur traitement soit un maximum de 12 heures.

eRouška est disponible pour Androïd à partir de la version 5.0. Bien qu’annoncé prochainement disponible pour iOS depuis deux semaines, il n’est toujours pas disponible pour les téléphones avec une pomme au lancement de la quarantaine intelligente le 1er mai. La République tchèque se heurte sûrement au même non recevoir d’Apple qui refuse de rendre le bluetooth activable en permanence par une application. Même si les iPhones sont moins répandus en République tchèque, il est dommage pour une application qui vise à être adoptée le plus largement possible de se priver de 20% des ordiphones du pays.

Le site du ministère de la santé appelle donc à son adoption large en expliquant comment marche cette application et pourquoi il faut que tout le monde l’installe. Une page dédiée nous montre une jolie vidéo didactique mais pour le moment, Google Play affiche seulement 1500 téléchargements. 

Si eRouška n’a pas assez d’utilisateurs pour offrir des données crédibles, les enquêteurs ne retiendront pas ces données mais le dispositif de quarantaine intelligente reste valable. Chacun espère qu’il est dimensionné pour traiter tous les cas qui se présenteront afin de vraiment freiner la propagation de l’épidémie.

Des critiques de la solution tchèque

Tout comme une app pour mobiles, la quarantaine intelligente n’est pas la panacée, elle permet d’identifier les contacts plus rapidement mais ne fait rien contre les infections par les surfaces (poignées, rambardes, boutons d’ascenseur…). Il convient aussi de rappeler les règles d’hygiène (le port du masque devrait rester obligatoire en République tchèque) et les gestes-barrières. 

Les députés pirates, plutôt compétents en matière technologique, ont aussi émis quelques réserves lors du débat parlementaire sur la quarantaine intelligente. Le fait que le code source des solutions proposées par COVID19 ne soit pas disponible ne permet pas de vérifier que les logiciels utilisées font vraiment ce qu’ils prétendent. C’est notamment important pour ce qui concerne le traitement et la conservation des données personnelles.

Ces députés en en outre demandé un meilleur contrôle de cette solution. Elle a déjà auditée par Price Waterhouse Cooper mais ils ont demandé un avis de l’ÚOOZ (La CNIL tchèque) qui n’a pour l’instant pas été rendu.

Les députés pirates ont approuvé le projet parce qu’il nécessite le consentement éclairé des utilisateurs avant utilisation de leurs données personnelles. Il respecte donc le RGDP et la vie privée. Ce peut être aussi une faiblesse parce que ce consentement est obtenu par téléphone à l’annonce d’une nouvelle émotionnelle. On ne sait pas quel procédure s’assure que les enquêteurs expliquent bien aux personnes qu’elles ont la possibilité de refuser l’accès à leurs données. D’ailleurs le site d’information du ministère de la santé ne le fait pas.

Une autre critique que j’ai entendue porte sur la fourniture des logiciels au gouvernement. Le groupe COVID19 a offert les logiciels au gouvernement sans appel d’offre et tous deux ont communiqué sur le prix de 0 couronne mais aucun contrat n’a été publié. Il reste des inconnues sur l’infrastructure fournie par l’entreprise Keboola, la maintenance et les mises à jour inévitables. Dans un pays où la corruption fait souvent les gros titres il aurait été préférable de tout prévoir en transparence pour dissiper les doutes. Néanmoins, Keboola est déjà fournisseur du ministère de la santé pour la gestion des statistiques sanitaires. Il y a déjà un cadre relationel légal et la quarantaine intelligente peut être considéré comme un avenant à titre gratuit.

Conclusion sur les outils de sortie de confinement en Tchéquie

Les autres critiques ne sont plus lié à la quarantaine intelligente en elle même mais à la logistique autour du déconfinement qui a commencé progressivement en république tchèque. Les dates de reprise pour les différentes catégories de travailleurs et certaines mesures semblent un peu à l’avenant mais une chose est sûre, avec une progression du nombre de cas qui se stabilise la République tchèque est prête pour le déconfinement. 

Le confinement est une période pour préparer les services face à une épidémie qui n’est pas terminée. Le fait que la réponse tchèque mette les enquêteurs sanitaires au cœur de son système de lutte contre le COVID-19 est plutôt une bonne nouvelle puisque ce sont eux qui ont la charge de briser les chaînes de contagion. Toute aide technologique est bienvenue dans leur travail mais elle se doit de respecter les droits de chacun notamment le droit à la vie privée. Ce faisant l’appel à la responsabilité personnelle est plus crédible et susceptible d’être mieux respecté. C’est vrai pour le respect des mises en quarantaine tout comme le port du masque, l’installation d’applications de traçage, les gestes barrières et autre règles de distanciation physique. Si les enquêteurs sanitaires ont la charge de briser les chaînes de contagion ce sont nous tous qui avons le devoir de ne pas en créer.

Ajout du 7 mai : Depuis la publication de cet article, un des développeur du groupe COVID19.cz m’a apporté deux précisions importantes :

  • L’ÚOOZ a bien été saisie concernant l’application eRouška et elle a rendu un avis sous réserves. Les réserves ont d’ailleurs été levées en modifiant le serveur de stockage des numéros de téléphone des utilisateurs et en modifiant la page sur la protection des données personnelles.
  • Apple a autorisé l’application eRouška de contrôler le bluetooth des ordiphones iOS. Il est maintenant possible de l’installer depuis l’App Store. Selon ce développeur, la firme américaine devrait permettre à une application par pays de le faire. À ma connaissance, les tchèques sont les premiers.

Article invité par Alix (un grand merci pour ta contribution!)